Justice en tension en Guinée : la boussole à l’épreuve des défis

Faits divers

Alors que le Barreau prolonge son boycott pour deux semaines supplémentaires, les tensions autour du secteur judiciaire mettent à l’épreuve la volonté du CNRD de faire de la justice la colonne vertébrale de la transition. Un secteur stratégique où les avancées sont notables mais fragilisées par des crispations internes et des choix humains discutés.

Le Conseil de l’Ordre des avocats de Guinée a annoncé ce lundi 7 juillet la prolongation de son boycott des audiences pour deux semaines supplémentaires. Déclenché suite à l’enlèvement non élucidé de l’ancien bâtonnier Mohamed Traoré, le mouvement a rapidement agrégé d’autres revendications structurelles : moyens insuffisants alloués à la justice, retards récurrents dans le traitement des dossiers, pressions sur des avocats dans des affaires dites « sensibles », ou encore appel à un renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Dans un contexte aussi tendu, il serait facile d’oublier que depuis le 5 septembre 2021, le Conseil national du rassemblement pour le développement (CNRD) a fait de la justice le pilier de son projet de transition. Le procès historique des massacres du 28 septembre 2009, enfin ouvert en 2022, la création de la CRIEF pour sanctionner les crimes économiques, ou encore la réorganisation de la carte judiciaire sont autant d’initiatives qui témoignent d’une volonté de rupture avec un passé marqué par l’impunité.

Pourtant, le chemin reste semé d’embûches. Initialement saluée pour son ambition de moralisation de la vie publique, la CRIEF est aujourd’hui perçue par une partie de l’opposition comme un instrument de règlements de comptes ou de chasse aux sorcières. Les avocats, de leur côté, dénoncent des dysfonctionnements persistants dans l’organisation du secteur judiciaire et s’interrogent sur la solidité des profils à sa tête. En moins de quatre ans, pas moins de quatre ministres se sont succédé au ministère de la Justice. Le passage de Charles Alphonse Wright — soutenu à l’époque par le Général Mamadi Doumbouya — demeure l’un des épisodes les plus marquants. Considéré par une partie de l’opinion comme l’un des plus audacieux dans un écosystème souvent conservateur, son départ, sur fond de tensions internes et d’affaires privées peu honorables, reste controversé. Il a été remplacé par Kairaba Kaba, magistrat expérimenté mais jugé trop effacé dans la gestion des crises, notamment celle opposant le ministère au Barreau.

Le refus initial du ministre Kairaba Kaba de recevoir les avocats, perçu comme une défiance, a contribué à radicaliser le mouvement. Une erreur que le Premier ministre Amadou Oury Bah, malgré sa tentative d’apaisement, n’a pas réussi à rattraper à temps. Dans ce contexte, les voix se multiplient pour appeler à un recentrage autour de l’objectif initial : restaurer la justice comme socle de la refondation nationale. Ce recentrage passe inévitablement par le choix d’hommes à la hauteur des enjeux, capables de solutionner également et mettre un terme aux enlèvements — par des inconnus armés — d’éléments de la société civile et d’un journaliste, Habib Marouane Camara, porté disparu depuis plus de six mois.

La dynamique impulsée par le CNRD reste saluée par une partie des observateurs, mais elle demeure tributaire de la capacité de l’État à garantir une justice indépendante, équitable et accessible. Car au fond, au-delà des textes, ce sont les hommes qui font la justice. Ou la défont.

 Abou Maco

 

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